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19 juillet 2023

De l’information en démocratie

L’information des citoyens en démocratie repose sur deux piliers qui peuvent être en concurrence voire même en opposition frontale.

Le premier est celui qui consiste à apporter à l’individu l’information qui lui donne la capacité de comprendre le monde donc de lui permettre d’exercer au mieux ses droits et devoirs de citoyen, de défendre et protéger ses intérêts: c’est le droit à l’information.

Le second est celui qui donne à la liberté de pensée donc d’avoir une d’opinion et de pouvoir la communiquer grâce à la la liberté d’expression et plus particulièrement grâce à la liberté de la presse, afin de permettre à tous les courants de pensée de pouvoir s’exprimer dans le cadre des lois de la république (qui doivent punir tout excès de cette liberté comme la diffamation, l’appel au meurtre et à la violence contre les personnes): c’est le droit à exprimer publiquement ses opinions.

On comprend quel choc frontal peut avoir lieu entre le droit à l’information et le droit à exprimer ses opinions.

Dans le premier cas, la rectitude dans la narration des faits est essentielle et prime sur leurs interprétations; dans le second c’est l’interprétation de ces faits qui est à l’objectif premier afin de leur donner un sens en rapport avec une idéologie particulière.

Bien entendu, il est tout à fait possible que l’opinion s’appuie sur une narration au plus près de la réalité des faits mais il n’en reste pas moins que la presse partisane privilégie d’abord des grilles de lectures idéologiques particulières.

Il faut donc prendre en compte cette dichotomie de l’information.

Pour cela, il convient de mettre en place un régime hybride de l’information qui garantit au citoyen, d’une part, d’avoir accès à une information la plus objective possible et, d’autre part, de pouvoir créer et/ou consulter un média qui défend ses opinions.

Il faut donc qu’il y ait des organisations qui donnent de l’information et l’expliquent le plus objectivement possible et d’autres qui commentent l’information avec des points de vue idéologiques différents.

S’il n’existe pas de régime dual alors il ne peut y avoir de réelle démocratie.

Certains diront que ce régime hybride existe dans la plupart des démocraties de la planète où coexistent un service public de l’information et une presse libre.

Mais, en réalité, il n’existe pas vraiment de service public de l’information réellement indépendant et dont le travail est guidé par l’objectivité.

C’est là qu’il faut agir sans pour autant mettre en péril la presse d’opinion.

 

Alexandre Vatimbella

 

18 juillet 2023

La raison démocratique au défi de l’émotion populiste

Comment gouverner rationnellement quand c’est l’irrationnel qui domine souvent les gouvernés?

Telle est la question que se sont posés philosophes et penseurs depuis Aristote.

Une politique de raison se heurte souvent à l’émotion populaire.

Dès lors, en démocratie, là où les représentants du peuple et les gouvernants ont besoin d’être élus, jouent souvent la carte de l’émotion, certains la pratiquant à outrance.

Ces dernières décennies on assiste même à un développement exponentiel de l’émotivité où toute mesure, toute décision, toute réaction passe le test de l’affectivité en même temps que celui de sa pertinence dans son domaine d’intervention.

L’émotion n’est plus seulement présente dans les faits divers ou les catastrophes, les exploits sportifs ou dans les événements de la culture populaire, elle régente aussi les comportements, les pensées et les jugements de toute la sphère politique.

Prenons l’exemple du «ressenti» de la population qui est mis en avant dans les sondages.

Celui n’est évidemment pas fondée sur la réalité mais sur un sentiment qui produit une croyance

Alors que les économies américaine et française connaissent actuellement des résultats positifs et sont en croissance, une grande majorité des sondés pensent le contraire.

Plus irrationnel encore sont les enquêtes qui montrent que les populations estiment majoritairement que la situation de leur pays est mauvaise mais affirment encore plus majoritairement que leur situation personnelle est bonne!

Au-delà de ce dernier paradoxe, on pourrait multiplier les exemples où un sentiment prend le pas sur la réalité que ce soit en matière de sécurité, de protection sociale, de pouvoir d’achat, etc.

Les populismes l’ont d’ailleurs bien compris qui font reposer l’essentiel de leurs programmes sur l’émotion négative et qui fustigent la raison comme si elle était responsable de tous les maux de la société.

Et pour ne pas être en reste, les partis dits de gouvernement utilisent souvent l’émotion sachant que celle-ci est plus facile à susciter que de faire appel à la raison.

Un peu de populisme n’est-il pas bon électoralement parlant?!

Mais si les émotions ne doivent pas vampiriser la politique, la raison ne doit pas pour autant les empêcher systématiquement.

Celles-ci nous permettent d’avoir de l’empathie pour les autres et les causes humanistes.

Elles sont à la base de nombre de politiques sociales et sociétales qui ont permis d’améliorer le sort de la population et/ou de personnes et/ou groupes particuliers.

Elles ont toujours existé dans le champ politique.

Néanmoins, les émotions négatives ont pris une dimension sans doute jamais vue et ce depuis le début de ce troisième millénaire avec les «indignations», les «colères», les «ressentiments», les «humiliations» vraies ou fausses, suscitées ou récupérées avec gourmandise par les populismes et les extrémismes sur fond d’«injustices», de «discriminations» ou d’«inégalités» elles aussi vraies ou fausses, suscitées ou récupérées afin de mener un contestation de l’ordre démocratique.

Ajoutons que celles-ci sont de plus en plus souvent liées à des groupes sociaux, sociétaux ou culturels, à des communautarismes.

Si elles ont évidemment le droit de citer dans une démocratie républicaine libérale au nom de la liberté de pensée donc d’opinion et d’expression, elles devraient néanmoins ne pas interférer dans la phase finale de la prise de décision politique.

Dès lors est-il encore possible que la raison l’emporte sur l’émotion quand il s’agit pour la population d’apprécier des mesures politiques ou de faire un état des lieux d’une situation précise?

La réponse est qu’actuellement, ça l’est de moins en moins.

Et les nouveaux moyens de communication avec internet et les réseaux sociaux en pointe nous éloignent encore plus de cet objectif avec leur déversement de fake news et d’élucubrationismes (complotismes) sur lesquels l’émotion négative est de plus en plus assise ou justifiée.

D’autant qu’il est plus facile pour les politiques et plus encore pour les politiciens populistes démagogues surtout s’ils propagent des idéologies extrémistes, de jouer et de capitaliser sur les émotions que de convaincre par la raison et la réalité.

Et cela a déteint sur toute la sphère politique.

Ainsi l’absence d’émotion de la part d’un élu est critiquée et stigmatisée alors que l’absence de raison est souvent pardonnée au nom des nécessaires empathie et sympathie, d’une demande de l’«opinion publique» qu’il soit proche de la peine des autres.

Comment faire en sorte dès lors que la raison sorte vainqueure de ce bras de fer continuel avec l’émotion sans pour autant la supprimer lorsqu’elle est un moteur pour un progrès.

Le rôle des élus n’est-il pas aussi de traduire les émotions du corps social en raison politique, c’est-à-dire à prendre en compte l’émotionnel pour gouverner le plus raisonnablement possible et non être dans la réaction affective comme c’est de plus en plus souvent le cas?

Mais est-ce seulement possible?

La «dérive «émotionnelle» de la politique est préoccupante parce qu’elle permet à l’irrationnel d’interférer largement dans les débats, voire de les phagocyter.

Mais si l’on ne peut l’empêcher de progresser, peut-on l’«encadrer»?

On ne peut malheureusement répondre positivement à cette question tellement les émotions avant tout négatives parasitent désormais la démocratie à tous les niveaux de décision.

Seule manière d’agir efficacement, la formation et l’information de l’individu pour en faire un citoyen «au courant» et responsable dont la demande sera que le politique s’occupe de politique et pas des plaies de l’âme.

Car la place de l’émotion dans la politique est aussi la résultante de cette autonomisation irresponsable, égocentrique et assistée de l’individu qui demande que ses élus soient aussi des sortes de psychothérapeutes qui, non seulement, l’écoutent mais le soignent en accédant sans frein à ses envies et ses désirs.

Parce que si l’émotion a pu prendre autant d’importance dans la sphère politique, c’est aussi à cause d’un monde que l’individu maîtrise de moins en moins, donc qui provoque chez lui de l’angoisse et du stress.

Il compense alors cette absence de compréhension par des réactions épidermiques et émotionnelles en les justifiant par toutes les fake news et les théories du complot qui flottent dans l’air vicié des réseaux sociaux.

L’émotion est bien devenue une composante de la gouvernance de la cité.

Et l’on ne voit pas comment les émotions négatives ne pourraient pas encore progresser au risque de faire imploser l’ordre démocratique.

Peut-être en s’inspirant de Spinoza qui écrit, à propos de ces dernières qu’«un sentiment ne peut être contrarié ou supprimé que par un sentiment contraire et plus fort que le sentiment à contrarier».

Selon lui une émotion positive induite par la raison, c’est-à-dire par un effort intellectuel, peut contrecarrer une émotion négative issue souvent de la paresse de la pensée.

Reste qu’il nous dit sans détour que «la liberté n’est qu’à celui qui de son entier consentement vit sous le seule conduite de la Raison».

 

Alexandre Vatimbella

 

03 juillet 2023

«Décivilisation» et/ou «déshumanisation»?

Cela fait des années que j’alerte sur la montée de l’irrespect concomitante avec celle d’une autonomisation débridée et irresponsable de l’individu dans une perversion ultime de l’individualisme qui conduit à des comportements individuels et collectifs de plus en plus agressifs et violents dans les propos et les agirs.

La montée des extrémismes populistes est une des conséquences de ce phénomène qui trouve à s’exprimer pour le pire sur internet et particulièrement sur les réseaux sociaux.

Peut-on le qualifier de «décivilsation» et/ou de «déshumanisation» parce qu’il est le contraire de toutes les valeurs humanistes qui fondent le bien vivre ensemble d’une démocratie républicaine.

Pour ma part, je préfère le deuxième terme mais les deux signifient à peu près la même chose, c’est-à-dire un délitement des principes qui doivent régir les rapports sociaux dans une communauté libre et égale.

Encore que l’on peut également prétendre que ces principes n’ont jamais été respecté.

D’ailleurs, les textes se lamentant de l’absence de respect de la dignité de l’autre viennent d’auteurs qui du 19e et du 20e siècle.

C’est donc cette «marche en avant» vers plus de civilité qui s’est cassée en ce 21e siècle et qui a laissé la place à une société où l’agressivité est devenue une des principales marques.

Il est grand temps de nous mobiliser pour éviter que notre quotidien devienne une jungle où, ne l’oublions jamais, les plus faibles seront, in fine, toujours les premières victimes.

Car l’ordre démocratique si décrié par certains est celui du plus faible, c’est-à-dire qu’il protège le plus faible face au plus fort, dont le régime de prédilection est l’autoritarisme voire le totalitarisme.

J’accompagne ces réflexions d’un texte écrit il y a quelques temps pour un ouvrage sur la démocratie du respect:

Le philosophe allemand Emmanuel Kant affirme que le premier impératif de l’être humain est «Agis de telle façon que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans celle d’autrui, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen».

C’est le respect dû à autrui, le respect mutuel.

Pour le philosophe français Emmanuel Levinas, «Tout commence sans conteste dans le respect de l'homme et dans la lutte pour sa libération, pour son autonomie, pour la loi qu'il se donne à lui-même, pour ‘la liberté gravée sur les Tables de pierre’, comme le veulent nos docteurs de la Loi». Son compatriote, Paul Ricœur, voyait également dans le respect dû à autrui, une reconnaissance de l’autre, un fondement de l’éthique mais estimait qu’il fallait trouver un juste milieu entre le moi et l’autre.

Cependant, malgré ces citations, ces quelques propos ne sont pas philosophiques mais avant tout politiques dans le sens où ils sont là afin d’affirmer qu’une société ne sera jamais vraiment démocratique et vraiment équilibrée si le respect de la dignité de chaque humain – donc de son individualité, de sa différence ontologique et irréductible – ne devient pas la vertu principale de son fonctionnement parce qu’elle est la seule qui peut donner au lien social sa totale légitimité, qui peut apporter le liant essentiel pour fonder l’humanisme indispensable au vivre ensemble de toute société équilibrée et, en même temps, permettre à chacun d’être ce qu’il est, de travailler librement à devenir ce qu’il veut être et de réaliser son projet de vie.

Ces citations veulent rappeler que le respect est bien une notion fondamentale de l’existence humaine notamment dans dimension sociale. Car, ici on poursuit plutôt l’objectif du penseur et homme politique français, Frédéric Passy (1822-1912). Première personne à avoir jamais reçu le Prix Nobel de la paix (conjointement avec le Suisse Henri Dunant, fondateur de la Croix-Rouge), il disait, lors d’une conférence: «Mais comment la paix pourrait-elle exister, sinon par le respect mutuel encore (…). C'est encore dans le respect mutuel, je dirai plus, dans la bienveillance mutuelle, dans cette amitié qui, suivant une parole d’Edouard Laboulaye [juriste et homme politique français (1811-1883)], est le ciment des sociétés humaines, que nous pouvons trouver les éléments sérieux et durables de la paix sociale. Le respect donc, le respect toujours. Oui, tout se résume dans le respect de la personnalité humaine, fondé sur ce sentiment que la personnalité humaine est sacrée, parce qu'elle n'est pas un accident passager.»

Puis d’ajouter: «Il y a, au-dessus de ces sociétés particulières qui s'appellent des nations, une société supérieure qui s'appelle le genre humain, dans laquelle le respect mutuel, la justice, la bienveillance ne sont pas moins nécessaires que dans chacune de ses parties.». Et il faisait une mise en garde qui parait si contemporaine:

«Que voulez-vous que devienne une société dans laquelle dès l'enfance, dès la jeunesse, on s'est habitué à ne plus penser qu'à ses droits, ou du moins à ce qu'on appelle ses droits, c'est-à-dire à ses intérêts et ses fantaisies, sans se préoccuper des droits et des intérêts des autres, des égards qui sont dus aux autres?»

Alexandre Vatimbella