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13 décembre 2019

Doit-on parler de «réalité» ou de «vérité»?

Dans un monde depuis toujours dominé par l’opinion, la conviction, l’esprit partisan et un certain hubris où l’individu souvent croit qu’il sait alors qu’en réalité il ne sait pas ou, plus grave, sait faux, nous devons tout faire pour que l’on dise les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on voudrait qu’elles soient.
Beaucoup de gens emploient pour caractériser cette situation le terme de «vérité».
Pour ma part, j’ai une préférence pour la réalité.
La «vérité» est définie par le CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales du CNRS) comme une «connaissance reconnue comme juste, comme conforme à son objet et possédant à ce titre une valeur absolue, ultime».
De son côté, la «réalité» est caractérisée par le même organisme comme «ce qui existe».
La différence est que la vérité fait appel à des valeurs parce que ceux qui la disent affirme connaître l’absolu de ce qui est au-delà de sa manifestation alors que la réalité n’est que la constatation de ce qui est.
Dès lors, la réalité précède toujours la vérité car sans établissement de la réalité, pas de vérité possible.
Car, la réalité est, pour le CNRTL «ce qui constitue le monde de l'humain», l’«environnement concret et matériel de l'humain».
Ajoutons que, selon le même organisme, le réel est ce «qui existe, qui se produit effectivement, qui n'est pas un produit de l'imagination», «qui est tel qu’il est» ou comme le définit le Robert, «les choses elles-mêmes».
Rien ne peut interférer dans la réalité, elle est.
De son côté, la vérité a besoin d’être reconnue comme juste avant de pouvoir être considérée comme une valeur absolue.
La vérité est en effet la tentative d’expliquer le réel, donc de signifier ce qui est et non seulement de le dire, de relier certains éléments de ce réel pour démontrer et expliquer la réalité.
La vérité prétend donner un sens à la réalité.
Dès lors, on comprend bien qu’il ne peut y avoir qu’une seule réalité et qu’il peut y avoir un nombre important puisque chacun peut en construire une à partir de la réalité mais en y ajoutant d’autres choses.
En revanche, il y a bien une Vérité avec un grand V mais celle-ci ne nous est pas accessible, à nous humains.
Seul Dieu, s’il existe, en est le détenteur (ou la mémoire de l’univers, aussi difficilement interrogeable que le premier pendant notre existence terrestre…).
«Dieu» est ainsi le seul à posséder le saint graal qui excite tant la communauté scientifique depuis toujours dans une recherche chimérique, notamment les physiciens, la fameuse équation qui expliquerait le tout.
De même, on cherche la vérité (ce qui implique que notre culture personnelle interfère largement pour y parvenir) alors que la réalité est (même si, bien entendu, nous devons travailler à l’établir mais, une fois établie, elle n’est pas parasitée par nos valeurs personnelles).
On peut d’ailleurs placer la Vérité au-dessus de la réalité alors que la vérité, elle, est contingente du réel.
La première définit la réalité alors que la deuxième tente de lui donner un sens.
Ayant dit cela, on comprend bien qu’il vaut mieux se fier à quelqu’un qui dit la réalité plutôt qu’à quelqu’un qui prétend détenir la vérité (même si, pour certains, la vérité et la réalité seraient des synonymes, proposition que je ne partage pas, on l’a compris).
Cela peut paraître un débat un peu superfétatoire et une sorte de masturbation intellectuelle mais ce n’est pas du tout le cas.
D’abord parce que les philosophes et les scientifiques ont noirci tant de pages à savoir ce qu’était la vérité (et la Vérité, ici, rejoints par les théologiens) que l’on ne peut écarter d’une main cette problématique.
Ensuite, dire les choses, bien définir de quoi l’on parle, c’est essentiel pour une communauté humaine dont une des principales caractéristiques sociales c’est la communication.
C’est aussi replacer la situation actuelle qui est de plus en plus gangrénée par la propagande, les théories du complot, les infox (fake news), la post-vérité, les faits alternatifs, les fausses équivalences, etc. le tout sur fond d’une information qui n’est plus seulement de l’«infotainement» ou qui utilise le marketing mais bien une simple technique marketing pour s’attacher des consommateurs d’information (à qui on parle de ce qu’ils veulent qu’on leur parle et à qui on dit ce qu’ils veulent entendre notamment grâce à l’instrument du sondage et diverses autres enquêtes publiées ou non) dans un cadre plus large de réflexion mais aussi dans un cadre historique où l’on s’aperçoit que la manipulation de la réalité a toujours existé et que des personnes comme César, Napoléon et bien d’autres ambitieux narcissiques ayant dirigé le monde ont raconté leur «vérité» au mépris total de la réalité.
La réalité, donc, est l’outil irremplaçable qui permet à tout humain, tout individu, toute personne, tout citoyen de savoir dans quel monde il vit, donc de pouvoir en prendre, sinon la mesure, en tout cas la connaissance et le fonctionnement, afin de pouvoir construire son projet de vie du mieux possible et être en capacité du mieux qu’il le peut de le mener à bien et de la réussir tout en prenant ses décisions et en appliquant sa volonté avec la plus grande efficacité possible au regard de celui-ci.
Savoir la réalité, pouvoir vivre dans le réel sont donc d’une importance primordiale pour un individu dans une démocratie républicaine parce que c’est cela qui lui permet de pouvoir devenir et être une personne libre dotée de droits et de devoirs, responsable de ses actes, à la fois, pour en répondre mais surtout pour pouvoir prendre librement les décisions qui vont impacter son présent et son avenir.
On comprend aussi quelle est l’importance de pouvoir avoir accès à cette réalité, c'est-à-dire à pouvoir s’informer du réel par tous les outils de communication à sa disposition.
C’est la raison pour laquelle l’ensemble du système de la transmission du savoir constitué par la formation et l’information est un des fondements d’un citoyen éclairé.
Pour ce faire, les démocraties républicaines ont mis en place un service public de la formation (enseignement) important.
En revanche, même s’il existe également un service public de l’information, celui-ci ne fait souvent pas le poids face au secteur privé, ce qui est malheureux.
De même, ni le service public de la formation, ni celui de l’information ne répondent à des critères d’impartialité suffisants pour être ce qu’ils devraient être, des outils qui permettent à l’individu de construire son individualité dans un savoir libéré au maximum de toute opinion extérieure qui le parasite.
Même si l’on comprend que cela est quasiment impossible d’éliminer toute opinion dans la transmission du savoir, il est, en revanche, possible de nettement améliorer ce qui existe actuellement.
Et ce n’est qu’à ce moment là, quand tous les individus sans exception pourront avoir accès à ce savoir s’appuyant sur le réel et qu’ils pourront l’utiliser (dans leur capacité et dans son existence) qu’enfin on pourra parler d’un citoyen réellement éclairé et émancipé.

Alexandre Vatimbella

12 décembre 2019

La démocratie au risque de la revendication permanente de tous pour tout

Quotidiennement, lorsque nous prenons connaissance des informations nous sommes bombardés de manière anxiogène par les revendications de groupes sociaux, professionnels et autres qui demandent des droits, des avantages, des passe-droits et autres bonus catégoriels tout en menaçant de se mettre en grève, de défiler ou de bloquer le pays pour un temps infini.
Et tout ceci est mis en scène pour être le plus «punchy» parce que la revendication est désormais un produit d’appel pour les médias – voir le traitement souvent scandaleux en la matière du mouvement de foule des gilets jaunes –, notamment audiovisuels, qui doivent constamment créer l’événement (et non plus relater les faits) pour avoir le plus d’audience possible dans un environnement concurrentiel où l’information est un produit pour des consommateurs et non plus un outil pour le citoyen.
D’ailleurs, dans une sorte d’aller-retour pas toujours très sains  et c’est un euphémisme – il est sûr que certaines revendications n’ont existé que par le relais que les médias leur ont accordé, voire n’ont été créées que parce que ceux qui les faisaient leur espéraient dans une reprise médiatique qui les mettraient en avant, voire au premier plan.
Une des plus grandes farces de notre époque de la revendication permanente est, dans une volonté de «convergence des luttes», la tentative de réunir les revendications portées par Europe-écologie-les-Verts en matière d’environnement et celles des gilets jaunes alors même que ces derniers ont débuté leur mouvement pour lutter contre la mise en place d’un impôt écologique, la taxe carbone!
On atteint là l’absurdité totale où ne se dégage qu’une volonté de se confronter aux pouvoirs publics par tous les moyens.
Car, dans le cas spécifique de la France, ces revendications s’adressent prioritairement à ces pouvoirs publics (et contre eux) et plus particulièrement à l’Etat même si celles-ci concernent une entreprise privée ou un secteur dont ne s’occupe pas ce dernier.
Un Etat qui est désormais – même s’il en a toujours été le principal récipiendaire – sommé d’agir afin de contenter les désidératas de cette revendication permanente de tous pour tout.
Ce nouveau paradigme de la contestation met en péril, non seulement, le socle sur lequel est bâtie la démocratie républicaine mais aussi l’essence même du lien social établi, non pas parce que nous préférons vivre en société mais parce que nous ne pouvons pas faire autrement que vivre en société.
En effet, si chacun de nous défend naturellement ses intérêts, il y a également un autre élément essentiel dans notre nature: nous ne pouvons pas vivre en dehors d’une communauté.
Même un anarchiste individualiste comme Max Stirner le reconnaissait.
Dès lors, pour vivre en sécurité, nous devons trouver un lien qui nous permet de vivre ensemble et qui, sans oblitérer la recherche par chaque individu de son intérêt, remet cette recherche dans un cadre plus large où nous devons trouver un consensus où se confrontent tous les intérêts individuels mais dans le compromis de la viabilité d’un intérêt collectif.
Ce dernier ne tombe pas d’en haut comme ce pseudo «intérêt général» dont on ne sait pas très bien de quoi il est constitué et de quelle légitimité il se réclame.
Non l’intérêt collectif est une partie indissociable de chaque intérêt individuel tout en le dépassant.
Cette apparente contradiction signifie simplement que notre intérêt individuel ne peut exister concrètement, c'est-à-dire que cette volonté puisse produire du concret, que s’il est protégé mais aussi canalisé par les règles du vivre ensemble et notamment celle qui s’appuie sur le réel.
Et cet intérêt collectif est la condition sine qua non, dans une communauté, à la réalisation effective des intérêts individuels.
Ainsi, si je veux telle chose, il faut que je puisse être vivant pour l’acquérir, c'est-à-dire que je vive dans une société qui me garantisse la sécurité comme à tous les autres membres, donc qui fasse en sorte que tous, nous reconnaissions la légitimité de cette communauté qui nous protège.
Mais si je veux telle chose, il faut également que je reconnaisse, non seulement, que tous les autres membres de ma communauté peuvent la vouloir mais qu’il est réellement possible de l’obtenir dans le cadre du fonctionnement d’une communauté qui m’assure, et la protection, et la capacité, si cela est du domaine du possible, de l’acquérir effectivement.
Je peux vouloir m’accaparer tous les biens d’une communauté mais je sais que, peut-être, d’autres membres de cette communauté le veulent aussi et que dans le réel cela est impossible, non seulement parce que ces autres ne seront pas d’accord pour me l’accorder qu’à moi mais aussi parce que cela n’est pas possible puisqu’en les conquérant je fais en sorte de ne pas permettre à ces autres de simplement exister, donc de légitimer une organisation sociale qui les exclut de facto en me permettant de tout avoir et eux rien (dès lors, ils sont d‘ailleurs légitimes à se rebeller contre celle-ci).
Il y a bien sûr plusieurs manières de faire valoir son intérêt individuel dans une communauté, dont une est la revendication.
Dans une démocratie, en matière sociale, cela peut prendre la forme légitime de manifestations et de grèves (légitimité que ne possèdent pas la rébellion et la révolution puisqu’il existe un moyen légal de changer le pouvoir en place, si celui-ci ne veut pas faire aboutir ses revendications).
Chacun peut ainsi, en respectant la règle juridique, descendre dans la rue pour demander à ce que ses désidératas soient contentés et cesser le travail pour appuyer ceux-ci.
En retour, chacun doit avoir un comportement de responsabilité en estimant si ses revendications sont du domaine du possible ou non.
C’est vrai qu’il est parfois difficile de savoir si l’on peut demande ceci ou cela et si on est en droit de l’obtenir.
Pour reprendre l’exemple cité plus haut, il est évident que de demander à posséder tous les biens d’une communauté est évidemment inacceptable.
Mais c’est un exemple évident et caricatural qui peut, tout au plus, démontrer la nécessité d’une mesure dans la revendication.
En matière de demande extra-ordinaire à la communauté (on ne parle pas ici des accords que des particuliers peuvent passer entre eux), c'est-à-dire où l’on demande quelque chose que les autres n’ont pas, il faut s’assurer de la légitimité de cette revendication au motif qu’elle établit une égalité entre tous qui n’existe pas.
Si je suis handicapé de naissance et que je ne peux monter des escaliers, il semble évident qu’une rampe ou un ascenseur rétablit mon égalité et que cette demande de pouvoir me déplacer comme les autres n’est pas illégitime et inenvisageable à mettre en œuvre techniquement et financièrement par la communauté.
Tout autrement est la demande que la communauté vous paye des avantages que les autres n’ont pas alors même que vous n’avez aucune raison que ces derniers, par le biais de la communauté, vous les payent.
C’est le cas, par exemple, en matière de retraite avec les «régimes spéciaux» payés par les deniers publics.
Ici on parle de ce que j’appelle une «plus grande égalité» que les autres, c'est-à-dire que l’on justifie que la communauté vous donne des avantages que les autres n’ont pas et qu’ils doivent vous payer parce que l’on a un droit à être plus égal qu’eux au regard de ce que l’on estime être son intérêt soi-disant supérieur pour tout un tas de raison (comme le fait de travailler dans un secteur où certains des salariés peuvent avoir une plus grande pénibilité dans leur emploi).
Plus largement, nous sommes dans une démocratie qui est devenue consumériste et à la carte (je prends d’elle ce que je veux et qui est mon intérêt et je rejette ce qui me gêne dans le recherche de mon intérêts et ce qui ne me plaît pas) où la revendication de tous pour tout est devenue permanente.
Il ne s’agit plus ici de lutter pour son intérêt avec responsabilité et en regard de ce qui est possible vis-à-vis de la vie en communauté mais de se servir sur et de la communauté pour l’assouvir quoi qu’il arrive et coûte que coûte.
Cela ne peut que mener à une impasse où les perdants seront nombreux et où l’un d’entre eux sera la démocratie républicaine qui, si elle doit gérer les intérêts individuels, n’a pas pour mission de contenter toutes les revendications mais bien de trouver un compromis entre tous dans un juste équilibre et une égalité de traitement.
Malheureusement, ce temps de la revendication permanente de tous pour tout ne semble pas au crépuscule de son existence.

Alexandre Vatimbella



23 novembre 2019

La démocratie a-t-elle mérité Trump?

Au moment où se tient à la Chambre des représentants des Etats-Unis la procédure publique officielle de l’impeachment (destitution) de Donald Trump à propos de sa demande d’aide au gouvernement ukrainien de salir son principale opposant à la présidentielle de 2020, le démocrate et ancien vice-président de Barack Obama, Joe Biden, en échange d’une aide militaire (déjà votée par le Congrès et qu’il ne pouvait bloquer comme il l’a fait), une question essentielle se doit d’être posée: la démocratie a-t-elle mérité un tel personnage, c’est-à-dire un populiste démagogue, menteur, malhonnête, incompétent, sexiste, raciste qui excite les pires travers humains, notamment de ses électeurs et ses soutiens et dont beaucoup de gens estiment qu’il a de graves problèmes mentaux le rendant inapte à sa fonction.
De manière plus directe et plus provocatrice, Trump [c’est-à-dire son archétype] est-il un produit «naturel» de la démocratie?
Est-il une conséquence inexorable (à termes répétés de tels personnages) d’un régime qui permet à n’importe qui de pouvoir être président?
Mais on peut aussi poser la question, quelque peu différente, de savoir si Trump est un produit de ce qu’est devenue actuellement la démocratie voire de l’«approndissement» d’un régime démocratique.
A l’inverse, on peut se demander s’il est un accident ou une erreur de la démocratie ou le produit d’un dévoiement de la démocratie.
Et si ce dévoiement vient de l’«intérieur» de la machinerie démocratique (comme, par exemple, la montée d’une autonomie irresponsable de l’individu) ou de l’«extérieur» (comme, par exemple, la prégnance d’une idéologie néo-libérale et financière régissant le capitalisme moderne)?
Pour bien poser le débat, rappelons rapidement ce que sont les fondements d’une démocratie et quel est l’état actuel des régimes démocratiques et/ou de l’avancée démocratique dans les pays qui connaissent ce régime depuis plus ou moins longtemps.
La formule d’Abraham Lincoln utilisé lors de sa fameuse adresse sur le champ de bataille de Gettysburg encore fumant lors de la guerre de sécession (appelée de manière plus appropriée guerre civile aux Etats-Unis) est un début: «le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple».
Ajoutée à la devise de la République française (liberté, égalité, fraternité), le portrait devient plus consistant.
Mais cela n’est pas suffisant parce qu’il faut y ajouter ce que certains estiment tout aussi important que la volonté de la majorité, celle de la protection de la minorité, c’est-à-dire qu’il ne peut y avoir de démocratie si l’on ne garantit pas les droits inaliénables de ceux qui ne pensent pas comme la majorité mais qui se plient à la règle démocratique.
En quelques sorte c’est l’application légale d’une vertu essentielle du vivre ensemble démocratique, le respect de la dignité de toute personne (ce dernier recouvre toutefois un champ plus étendu).
Enfin, et ce n’est pas un des moindres éléments, la démocratie est un pari fait sur l’humain.
Si les Pères fondateurs des Etats-Unis se méfiaient des masses et avaient décidé d’élaborer une constitution où des garde-fous devaient empêcher tout débordement populistes (on a vu que ceux-ci n’étaient guère efficaces avec l’élection de Trump…), ils croyaient néanmoins comme beaucoup des partisans de la démocratie que cette dernière permettrait une émancipation de l’individu qui serait, au fil du temps, de plus en plus capable d’être un citoyen responsable grâce aux bienfaits des valeurs démocratiques, en particulier l’éducation pour tous.
Il serait alors capable de défendre ses intérêts personnels et ceux de ses proches dans le cadre d’une communauté libre où, tout en défendant son point de vue, on accepterait ceux des autres et admettrait que les décisions devraient se prendre en toute responsabilité face au réel.
Dès lors, pour que ce système fonctionne, le choix des dirigeants d’un pays ne peut évidemment se faire que par les élections de représentants élus par tous les citoyens (sachant l’inapplicabilité de la démocratie directe dans des sociétés complexes et importantes que sont les démocraties républicaines).
Et c’est ici que se place le cœur de nos interrogations de départ.
Si le «peuple» (en réalité l’agrégation de tous les individus qui sont régis sur un même territoire par la même règle juridique) choisit, il est donc légitime de se demander quels sont les critères de son vote qui peuvent aboutir à l’élection d’une personnage comme Donald Trump.
Je ne rentrerai pas ici dans la controverse du collège électoral qui élit en réalité le président des Etats-Unis, composé de délégués élus Etat par Etat, permettant donc qu’un candidat ayant moins de voix qu’un autre (ce qui fut le cas de Trump en 2016 face à Hillary Clinton, avec un déficit de près de trois millions) accède à la plus haute marche de l’Etat.
Car – si j’estime que ce système qui devait modérer le choix d’un président a complètement failli (comme il avait déjà failli en 2000 avec l’élection de George W Bush) –, il est tout à fait légitime dans le sens où le «peuple» ne l’a jamais remis en cause, en tout cas, n’a jamais voté pour le supprimer.
L’idée que tout le monde – et donc n’importe qui – peut se présenter à une élection est un principe de la démocratie.
Bien entendu, celle-ci, partout où elle existe, a mis des conditions restrictives mais, globalement, l’énorme majorité de la population d’un pays peut se présenter et se faire élire.
On comprend bien que l’écrémage se fait également par le biais de médiateurs comme les partis politiques ou des reconnaissances venant des mondes économiques, sociaux, culturels ou sociétaux.
Sans oublier les médias qui peuvent promouvoir (consciemment ou non) un individu et lui donner une légitimité qui peut prêter à controverse.
Evidemment, un inconnu sans soutien et venant de nulle part peut tenter sa chance mais il a une probabilité d’être élu qui est très faible voire nulle.
Maintenant, il nous faut parler de l’état actuel de la démocratie dans les pays où existe réellement un tel régime politique.
L’évolution de ce dernier ressemble un peu aux craintes que pouvaient avoir les Pères fondateurs de la nation américaine dont nous avons vu plus haut qu’ils espéraient que la confrontation des intérêts particuliers et un gouvernement qui serait fait de poids et de contre-poids assureraient néanmoins un équilibre salutaire ainsi que celles d’Alexis de Tocqueville.
Ils ne croyaient pas dans la bonté inhérente de l’humain mais dans sa capacité à évoluer et, dans ce cadre, à acquérir une sagesse suffisante pour faire fonctionner un système d’une grande force idéale mais d’une grande fragilité structurelle.
Mais, aujourd’hui, ce n’est pas vraiment cette démocratie responsable qui a vu le jour mais plutôt une démocratie consumériste issue de la montée en puissance de l’autonomie de l’individu, un bienfait dans son essence mais qui s’est malheureusement faite dans l’irresponsabilité, dans l’insatisfaction chronique et dans l’assistanat avec des comportements irrespectueux, égoïstes, égocentriques.
Le tout dans des agirs qui sont largement dans l’immédiateté, dans la croyance plutôt que la connaissance, voire dans l’ignorance et l’opposition systématique à tout pouvoir, même celui qui est démocratiquement légitime.
Dans ce cadre, l’élection d’un archétype trumpien n’est, son seulement pas une surprise mais une sorte de conséquence de l’hydre créé, non pas par la démocratie, mais par son dévoiement même s’il faut se demander si ce dévoiement n’est pas inscrit dès le départ dans la promesse démocratique.
Et force est de reconnaître qu’il y a des indices qui militent en ce sens.
Ainsi, le pari démocratique ne semble fonctionner correctement (jamais parfaitement) lorsque les individus retirent de celui-ci des gratifications immédiates comme lorsqu’il y a une forte croissance économique.
Mais dès qu’il faut faire des efforts, dès qu’il y a des problèmes et des obstacles importants au progrès, alors le vote est une arme de sanction, non pas contre les élus en place, mais contre le régime lui-même.
Cela peut aboutir, dans les cas les plus extrêmes, à la prise du pouvoir légale d’un Adolph Hitler (mais l’on pouvait penser ici que le régime démocratique en Allemagne était encore trop récent donc trop faible pour faire face à la montée du nazisme sur fond de la Grande dépression) et plus généralement à l’élection de personnages tel que Donald Trump (et ses avatars un peu partout dans le monde).
Bien entendu, il n’y a pas d’unanimité du «peuple» pour les installer au pouvoir – même pas de majorité pour ce qui concerne le président américain actuel – mais, néanmoins, une majorité ou une forte minorité – qui profite de l’émiettement partisan que peut créer la démocratie.
Maintenant, dire que la démocratie a mérité Trump est une problématique qui se superpose au mécanisme dont on vient de parler.
Cela suppose en effet que quoiqu’il arrive, le régime démocratique sortira de sa boite de Pandore des Trump à périodes répétées, voire, dans les années à venir, quasi-systématiquement.
De ce point de vue, il est bon de ne pas oublier les Orban, Erdogan, Duterte, Bolsonaro et autres Salvini qui occupent ou ont occupé le pouvoir (et pourront à nouveau l’occuper) et évidemment ceux qui sont en attente comme Le Pen ou Iglesias.
En fait, nous sommes sans doute à un tournant des régimes démocratiques et celui-ci peut prendre toutes les directions possibles sans pour autant affirmer que le pire (c’est-à-dire l’institutionnalisation de l’archétype Trump) sera la réalité de demain.
Bien entendu, on peut dire que le «peuple» américain a accepté la présidence d’un démagogue populiste escroc, menteur, etc. sans se rebeller, sans le renverser et, parfois, dans une apathie coupable.
Cependant, on pourra éventuellement parler d’«accident de l’Histoire» s’il est battu lors de la présidentielle de 2020 (en revanche s’il est réélu le thèse accidentelle ne tiendra plus la route, d’où l’importance cruciale de cette élection pour l’avenir de la démocratie).
Eventuellement, dis-je, car si cette défaite sera salutaire pour le régime démocratique, cela ne signifiera pas pour autant un retournement des tares issues du dévoiement de l’idéal démocratique.
Et c’est bien là que le bât blesse profondément l’animal démocratique.
Car si la démocratie est condamnée à être une organisation de la société d’une grande faiblesse – ce qui fait son extraordinaire attrait tellement elle est émancipatrice et progressiste dans ses valeurs et ses principes –, elle tire sa force d’une sorte de consensus qui dit que si elle n’est pas parfaite, elle reste le meilleur ou le moins mauvais système où chacun peut faire valoir ses intérêts.
Or, la montée de l’autonomisation irresponsable, égocentrique, assistée, insatisfaite et irrespectueuse de l’individu peut nous amener, plus vite qu’on ne le pense, dans une pseudo-démocratie, médiacratique, médiocratique, populiste, démagogique et consumériste, totalement ingérable et donc prélude à des régimes autoritaires voire totalitaires.
On peut espérer que tel ne sera pas le cas et que les forces qui poussent la démocratie à exister seront plus fortes que celles qui veulent la détruire et en faire un système qui a failli en un temps record face à la longueur de l’Histoire de l’Humanité.
Et si c’est cette dernière alternative qui est la bonne, on pourra alors dire que, oui, la démocratie, en ce début de deuxième millénaire, avait mérité Trump.
C’est la seule réponse que l’on peut faire actuellement.
Mais cela ne veut donc pas dire que le pire va survenir.
Cela signifie qu’il y a un risque qu’il survienne mais que nous pouvons agir pour l’en empêcher.
Comment?
En misant sur l’émergence de cet individu libre, responsable, respectueux.
Non pas en l’attendant comme un messie mais en travaillant d’arrache-pied à ce qu’il devienne une réalité.
Certains prétendront qu’il s’agit d’un travail de Sisyphe, d’une utopie irréalisable et ils pourraient bien avoir raison.
Mais, comme je l’ai dit, la démocratie est un pari sur l’humain et tant qu’on peut parier sur l’espoir, il y a lieu de le faire.
In fine, néanmoins, il faut bien comprendre que cette situation se déroule non pas à la fin du XVIII° siècle quand les Etats-Unis sont devenus la première démocratie moderne, non pas au début du XX° siècle où cette même démocratie était dans sa jeunesse là où elle était implantée, non pas après la Deuxième guerre mondiale où il fallait reconstruire un peu partout l’architecture démocratique mais bien dans le premier quart du XXI° siècle dans un pays – les Etats-Unis – qui connaissent la démocratie depuis près de 250 ans.
Bien sûr, par rapport au temps historique, on peut considérer qu’un quart de millénaire n’est pas très important pour un système politique notamment si on le compare à d’autres qui ont duré nettement plus longtemps, certains pendant des milliers d’années.
Mais l’on peut aussi considérer que ce quart est assez long pour savoir si un tel système est viable sur le long terme, c’est-à-dire qu’il a pu éliminer ou bloquer efficacement certaines tares qui menacent de le détruire de l’intérieur.
C’est la fameuse vision du verre à moitié plein ou à moitié vide.
Quoi qu’il en soit, c’est un problème que devra régler aussi rapidement que possible la démocratie pour démontrer qu’elle est viable au XXI° siècle et pour ceux qui vont suivre.
Si elle n’y parvient pas alors, oui, la démocratie aura mérité Trump.
Sans doute pour notre malheur.

Alexandre Vatimbella

10 août 2019

La démocratie au risque de la démago-populo-médio-médiacratie

La démago-populo-médio-médiacratie (dpmm) c’est-à-dire une médiacratie démagogique, populiste et de la médiocrité tire déjà vers le bas le projet démocratique, le pervertit de l’intérieur en en changeant et en contaminant plus ou moins rapidement les diverses composantes de sa substance et, surtout, à terme le menace de disparition.
Si la démagogie, le populisme et la médiocrité alliés à la médiatisation outrancière et irresponsable de la société ne sont pas des phénomènes nouveaux, ils prennent une importance en ce début de XXI° siècle où la démocratie républicaine devient ce lieu politique sinistré où le nombrilisme, c'est-à-dire les désirs et la toute-puissance de l’individu autonomisé égocentrique assisté irresponsable insatisfait irrespectueux veulent s’imposer au nom d’une conception libertario-hédoniste et atomisée de la liberté – qui n’est alors que la licence – et, surtout, de l’égalité – qui n’est alors que de l’égalitarisme – ainsi que le relativisme qui va mettre des revendications humanistes et criminelles sur le même plan au nom du respect des cultures et des différences des peuples.
Pour ceux qui douteraient, juste quelques noms de ceux qui sévissent dans le cadre de cette dpmm dans ce qui sont encore des démocraties républicaines (même si certaines sont déjà fortement contaminées): Donald Trump, Boris Johnson, Gilets jaunes, BFMTV, Mediapart, Fox news, Matteo Salvini, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Steve Bannon, Podémos, Nigel Farage, Tea party, Syriza, Vox, Viktor Orban, Jair Bolsonaro, Recep Erdogan, Benjamin Netanyahu, AfD, Jarosław Kaczyński, Luigi di Maio (et cet inventaire, vous l’aurez compris, est loin d’être exhaustif).
Grâce à ce maelström qui devient immaitrisable, des personnages loufoques, clownesques ou, pire, dangereux ainsi que des criminels peuvent s’imposer ou imposer leurs actes à la société mondiale.
La démago-populo-médio-médiacratie peut dès lors remplacer la démocratie républicaine en tant que système politique (et ne plus être seulement un virus la contaminant) qui va produire et permettre l’avènement final d’individus à l’autonomisation égocentrique assistée irresponsable insatisfaite irrespectueuse qui, par leurs demandes extravagantes, permettront l’émergence de régimes populistes violents et liberticides au nom d’un «peuple» qui est une fiction mais s’appuyant en revanche sur des masses plus ou moins informes et aux revendications parfois contraires.
La grande question est de savoir si cette dpmm est in fine un travers et une déviation grave de la démocratie républicaine – qui est elle-même un système qui se base sur l’ensemble de la communauté, sur les classes moyennes et dont l’objectif est de rendre la vie meilleure avec une transmission du savoir et de l’information qui permettent à l’individu de devenir une personne responsable – ou, beaucoup plus inquiétant, si elle n’est que le futur de celle-ci.
En une question essentielle: peut-on arrêter cette marche vers le précipice?
En réalité, il n’y a pas, à ce moment historique précis de ce processus en cours, de réponse, ce qui est déjà assez anxiogène.
En effet, la démocratie républicaine qui, rappelons-le, est un système politique qui a été introduit – imparfaitement – au moment où les colonies américaines de la Grande-Bretagne sont devenues les Etats-Unis d’Amérique puis lors de la Révolution française (où elle ne dura que peu de temps) avant de se diffuser lentement dans les sociétés du XIX° siècle (avec une menace de disparition totale de la planète lors de la Guerre de sécession, les Etats-Unis étant alors la seule nation démocratique et républicaine) et de prendre son véritable essor au cours du XX° siècle avec son pic d’intensité dans les décennies 1980-2000, se trouve face à l’avenir que contiennent ses promesses d’émancipation de l’individu dans son statut de personne avec toutes les contradictions qu’elle véhicule depuis sa première expérience jusqu’à toutes celles qui se sont accumulées au fil de son fonctionnement.
Pour le dire plus clairement, rien n’indique que l’avenir des sociétés humaines soit la démocratie républicaine mais rien n’indique, non plus, le contraire.
Mais ce qui est sûr, c’est que, sans la mobilisation de tous les défenseurs de la démocratie républicaine, celle-ci n’a aucune chance de perdurer nulle part.
Dès lors, c’est bien un combat que ceux-ci doivent mener tout en ne mésestimant pas, ni la force de ses ennemis intérieurs, ni les défauts même de ce régime et peut-être même la fiction sur laquelle elle s’est établie, c'est-à-dire la possibilité de créer ce nouvel individu capable de vivre sa liberté dans la responsabilité, respectueux, solidaire et tolérant vis-à-vis de l’autre.
Oui, une des interrogations que ce début de XXI° siècle porte en lui, c’est bien de savoir si la démocratie républicaine peut s’appliquer comme système dominant, voire hégémonique, c'est-à-dire si tous les habitants de cette planète (et donc tous ceux qui vivent actuellement dans une démocratie républicaine) sont capables de vivre en démocratie républicaine, d’en respecter les règles et les valeurs.
Et force est de dire qu’aucune réponse positive catégorique n’est rationnellement possible, ce qui nous renvoie malheureusement aux critiques des pourfendeurs de la démocratie qui ont toujours estimé qu’elle ne pouvait pas réellement fonctionner dans la durée (ni même du tout, ce qui est faux).
Pour autant, si la démocratie républicaine est bien un pari sur l’humain, elle est aussi le cadre le plus propice à l’épanouissement des intelligences et des talents tout en garantissant à chacun l’intégrité de son individualité, de sa différence.
Alors oui, même si les vents semblent contraires, il faut continuer à naviguer et à se dresser contre la fatalité qui n’est peut-être pas aussi fatale qu’on le craint.

Alexandre Vatimbella